Vengeance

 

Le vol en provenance de Seattle avait quarante minutes de retard, ce qui arrangeait nos affaires, car on n’arriva que vingt minutes après l’heure initialement prévue. Un semi-remorque qui s’était mis en travers de l’autoroute nous avait retardés de près d’une heure. À 19 h 30, Antonio pénétra dans l’aéroport en faisant crisser les pneus, slaloma au milieu du trafic comme un taxi new-yorkais, puis nous lâcha devant les portes quelques minutes plus tard. Le temps qu’il trouve une place de parking et nous rejoigne au terminal, l’avion de Koenig atterrissait à peine. Nous arrivions à temps, mais de justesse. Je ne savais pas trop s’il fallait y voir un bon ou un mauvais signe.

On se plaça bien en retrait de la foule des amis, parents et chauffeurs venus accueillir les passagers, pour les regarder débarquer. Jimmy Koenig était facile à repérer. C’était un grand nerveux très maigre dont le visage évoquait Keith Richards dans ses mauvais jours. Il affichait pleinement ses soixante-deux ans, revanche de son corps soumis à tous les excès connus pendant cinquante ans. Trop d’alcool, de drogues, et bien trop de réveils matinaux dans des chambres d’hôtel étrangères auprès de femmes qui ne l’étaient pas moins. Ce sont des gens comme Jimmy Koenig qu’il faudrait embaucher pour les campagnes de pub antidrogues. Diffusez sa photo à la télé et tous les gamins ayant ne serait-ce qu’une once de vanité renonceront illico à l’alcool et à la drogue. Croyez-moi.

Koenig n’arrivait pas seul. Il descendit de l’avion avec un type qui ressemblait à un garde du corps du FBI – trentenaire, impeccable, rasé de près, vêtu d’un costume sombre et de lunettes de soleil. Malgré les verres qui lui cachaient les yeux, il tournait la tête de gauche à droite comme s’il inspectait les alentours en permanence. Je m’attendais presque à voir des menottes le reliant à Koenig. Lorsqu’ils parvinrent au bas de la passerelle, ils s’arrêtèrent. Puis échangèrent brièvement quelques mots. Le type du FBI paraissait contrarié, mais Koenig ne revenait pas sur sa position. Au bout de quelques minutes, le type du FBI se dirigea vers la livraison des bagages. Koenig rejoignit la salle d’attente et s’affala sur le siège le plus proche.

— Clay, Elena, occupez-vous de Koenig, dit Jeremy. Tonio et moi, on va chercher son ami. Nick ?

— Je reste avec Clay, répondit celui-ci.

Jeremy hocha la tête, puis Antonio et lui se dirigèrent vers la livraison des bagages. Lorsque j’eus parlé tactique avec Clay, il rejoignit la foule en compagnie de Nick. J’attendis qu’ils disparaissent de mon champ de vision, puis contournai une famille aux retrouvailles bruyantes pour rejoindre Koenig. Quand j’atteignis son siège, je me plaçai derrière et attendis. Il lui fallut quelques minutes avant de redresser brusquement la tête. Il renifla l’air, puis se tourna lentement.

— Bouh, lui dis-je.

Il réagit comme le font toujours les cabots en ma présence. Il bondit de son siège et se rua vers la sortie la plus proche, tremblant de terreur. Dans mes rêves. Il me jeta un coup d’œil et se mit à chercher Clay. Ça ne ratait jamais. Les cabots ne tremblaient à mon apparition que parce qu’ils en déduisaient que Clay n’était pas loin. Ils ne voyaient en moi qu’un signe annonciateur de malheur.

— Où est-il ? demanda Koenig, plissant les yeux et scrutant la foule.

— Je suis seule, répondis-je.

— Ouais, à d’autres.

Je contournai la rangée de sièges pour venir m’asseoir près de lui. Son haleine n’était imprégnée que d’un léger relent de scotch, ce qui signifiait qu’il ne s’était envoyé qu’un verre pendant le vol. Là encore, j’ignorais si c’était bon signe ou pas. Sobre, il évoquait un lion sans dents, cruel mais guère capable de mordre. Cependant, ça signifiait aussi que son cerveau et ses réflexes étaient en parfait état de marche.

— Clay est parti accueillir votre copain aux lunettes, répondis-je.

— Mon cop…

Il s’interrompit et émit un grognement.

— Il s’est dit que je pourrais m’occuper de vous toute seule.

Visiblement insulté, il me fusilla du regard. Il marmonna quelque chose. J’allais lui demander de répéter quand je vis Nick approcher de l’autre côté. Je jurai à mi-voix. Koenig tourna la tête. Voyant Nick, il eut d’abord une réaction de soulagement. Il commença à se détendre, puis se raidit de nouveau. Nick était peut-être moins dangereux que Clay, mais Koenig le redoutait bien plus que moi.

— L’enfoiré, marmonnai-je. Il n’était pas censé intervenir.

Le visage de Nick s’éclaira, non pas d’un sourire amical, mais du rictus prédateur du chasseur qui flaire sa proie. Il allongeait le pas à notre approche. Son regard était braqué sur Koenig.

— Nicholas…, l’avertis-je à mi-voix en me relevant.

Koenig tomba dans le panneau. Me croyant contrariée, prête à affronter Nick, il fonça. Nick me lança un sourire victorieux, et on s’élança à sa poursuite. Malgré sa vitesse, Koenig n’alla pas très loin. Autant traverser en courant une forêt très dense. Il passait son temps à slalomer pour contourner les gens et les chaises, n’évitant les uns que pour foncer dans les autres. Nick et moi le suivions d’un pas rapide. Non seulement il nous était plus facile de contourner les obstacles, mais nous ne donnions pas l’impression de lui courir après. Compte tenu de son apparence, personne ne s’étonnerait de le voir courir à travers l’aéroport pour échapper à d’invisibles poursuivants. Les gens s’imagineraient qu’il était saoul, défoncé ou plongé dans un flash-back d’enfer qui le ramenait dans les années soixante. Ils juraient quand il les fauchait, mais personne ne s’en mêlait.

Nick et moi restions chacun d’un côté de Koenig. C’était la même technique que nous avions employée contre le cerf : le pousser vers la ligne d’arrivée. Et devinez qui attendait là ? Je fus presque surprise de voir Koenig tomber dans le panneau. Je dis « presque », car j’avais assez d’expérience pour ne pas m’étonner totalement qu’il se laisse berner par une si vieille ruse. Les cabots ne chassaient pas le cerf. Le schéma était peut-être inscrit dans le cerveau de Koenig, mais il n’avait jamais pris la peine d’y recourir, si bien qu’il ne le reconnut pas quand on le retourna contre lui.

Je suivis l’odeur de Clay et guidai Koenig hors du hall surpeuplé, le long d’un couloir désert, puis derrière un étroit escalier. Clay jaillit de l’escalier, saisit Koenig par la gorge, puis lui brisa le cou. Trop vite fini, c’est vrai, mais on ne pouvait prendre le risque de l’interroger dans un aéroport bondé. Jeremy nous avait dit de le tuer, et Clay venait donc de le faire, avec une efficacité absolue. Avant même que le corps de Koenig devienne flasque, Clay le fourrait sous l’escalier parmi les ombres.

— On le laisse ici ? demandai-je.

— Nan. Y a une porte de sortie là-bas. J’ai vu des bennes à ordures, dehors. Si vous montez la garde, je vais l’y emporter.

— Tu as besoin de nous deux ? demandai-je. Tonio et Jeremy ont peut-être besoin d’aide.

— Bonne idée. Vas-y, alors. Nick peut s’occuper de monter la garde.

Je filai donc.

 

Le temps que j’atteigne la livraison des bagages, la plupart des passagers du vol de Koenig étaient repartis. Il ne restait que les inévitables traînards qui regardaient fixement le tapis roulant, immobiles. Au passage de chaque tas de bagages, ils s’animaient et l’inspectaient, espérant en dépit de tout y trouver leurs affaires, refusant de croire qu’elles avaient été dévorées par le dieu démoniaque des bagages perdus. Le type du FBI ne se trouvait pas parmi les croyants. Pas plus qu’Antonio et Jeremy. Je jetai un dernier coup d’œil autour de moi, puis revins sur mes pas.

Près des toilettes, j’aperçus le type du FBI. J’essayai de flairer une odeur de loup-garou, mais elle se perdait parmi la puanteur des inconnus. Je ne sentis pas davantage Jeremy ni Antonio, ce qui ne m’étonna pas. Premièrement, compte tenu du nombre d’humains qui circulaient toutes les heures dans ce couloir, j’avais déjà de la chance d’identifier la moindre odeur. Deuxièmement, Jeremy approchait sans doute depuis un autre angle, car il était bien moins enclin aux farces de gamins consistant à approcher de sa cible pour lui faire « Bouh ! »

Je suivis la piste du nouveau loup-garou, en restant assez en retrait pour ne pas risquer de lui tomber dessus et de bousiller ainsi le plan de Jeremy, quel qu’il soit. Je m’attendais à ce que le cabot retourne dans le hall où attendait Koenig. Il n’en fit rien. Il se dirigea plutôt vers une sortie latérale. Je le suivis jusqu’à une sorte de couloir évoquant une aire de chargement. À partir de là, il prit la direction du parking.

Là encore, son trajet ne colla pas à mes attentes. Au lieu de rejoindre le parking, il emprunta un autre couloir. Alors que je m’y engageais, un bruit aigu brisa le silence et je me retournai vivement pour voir un chariot élévateur débouler derrière moi. Je bondis hors de son chemin. Lorsque l’engin passa près de moi, le chauffeur désigna le parking mais ne ralentit pas, visiblement trop occupé pour se soucier de touristes qui s’aventuraient dans une zone sans doute réservée. Après quoi je rasai le mur, prête à filer vers une cachette si quelqu’un d’autre apparaissait.

Je me précipitai au bout du couloir, mais le cabot avait disparu. Je cherchai son odeur. Elle était toujours perdue, à présent cachée par celles des machines et des gaz d’échappement. Je commençais à me dire que Jeremy et Antonio n’étaient nulle part dans le coin. L’air était lourd de vapeurs d’essence et de diesel. Ils avaient dû renoncer depuis longtemps. Je m’apprêtais à faire demi-tour quand je tournai à un coin et vis le cabot à moins de six mètres. Je reculai vivement pour me cacher, m’arrêtai, tendis l’oreille et réfléchis aux solutions qui s’offraient à moi. Si j’étais tellement certaine que Jeremy et Antonio ne se trouvaient pas dans le coin, je ferais mieux de m’en aller. Jeremy me scalperait si je me lançais seule à la poursuite du cabot, même si je parvenais à le maîtriser. Je le savais bien, mais la tentation était trop grande. Tout en me répétant que je voulais seulement le regarder de plus près, je m’avançai prudemment.

Quand je parvins de nouveau au coin, le cabot avait disparu. Rasant le bâtiment sur ma gauche, je me glissai le long de la chaussée et le retrouvai. On avança encore de cinq ou six mètres. Puis il s’arrêta et regarda autour de lui, comme s’il cherchait ses repères. Je m’aplatis contre le mur et attendis. Quand il se remit en marche, je restai dans ma cachette et le laissai prendre de l’avance. Je me concentrais tellement sur ma proie que je n’entendis pas les bruits de pas derrière moi. Je me retournai trop tard. Un bras me saisit à la gorge et me plaqua au mur.

— Elena, dit LeBlanc. Vous ici.

Je tournai vivement la tête en m’attendant à voir le type du FBI revenir vers nous. Il avait disparu.

— Un ami à vous ? demanda LeBlanc.

— À vous, pas à moi.

Il haussa les sourcils, puis éclata de rire.

— Ah, je vois. Vous le suiviez parce que vous l’aviez vu parler à Koenig, et vous pensiez donc qu’il était l’un des nôtres. Mauvaise déduction, jeune fille. Très mauvaise. Le protégé de Koenig n’est plus des nôtres. Il n’a pas supporté la Mutation. Il est mort hier. Triste et regrettable. Daniel m’a envoyé chercher le vieux chnoque. Je vous ai vus traîner dans le coin, vous et votre bande, alors je suis resté en retrait pour admirer le spectacle. Ensuite, je vous ai vue filer et je me suis dit que je pourrais peut-être me charger de cette course, en fin de compte.

Tandis qu’il parlait, je me raidis pour l’attaquer, mais il tira quelque chose de sa poche avant que je puisse frapper. Un pistolet. LeBlanc l’éleva pour l’appuyer au milieu de mon front. Le sol tangua sous mes pieds, mes genoux menacèrent de céder. Arrête, me dis-je. Ce n’est qu’un jeu. Pas le genre dont tu as l’habitude, mais un jeu quand même. Bon, j’avais bien un flingue braqué sur le front, mais j’allais trouver un moyen de m’en sortir. Les cabots étaient des animaux prévisibles. LeBlanc ne me tuerait pas car j’étais un trophée trop précieux pour qu’on le gaspille afin d’en tirer quelques secondes de plaisir meurtrier. J’étais la seule femme loup-garou. Il essaierait peut-être de me violer, de me kidnapper ou de me rudoyer un peu, mais il ne me tuerait pas.

Je ravalai ma peur. La bravade avait marché la dernière fois. Autant m’en tenir aux formules éprouvées.

— Les loups-garous n’utilisent pas de flingues, lui dis-je. Les armes, c’est pour les chochottes. Vous vous en rendez bien compte, non ?

— Bouclez-la, dit LeBlanc en élevant la sienne un peu plus haut.

— Vous aviez sans doute raison quand vous disiez qu’on n’était pas très finauds, nous autres, dis-je. Si j’étais maligne, je vous aurais cassé le poignet droit. Comment ça va, au fait ? Ça ne vous fait pas trop mal ?

— Bouclez-la.

— Je discute un peu, c’est tout.

— Si vous voulez parler, dit LeBlanc, je vous conseille de commencer par vous excuser.

— De quoi ?

Son visage vira au rouge foncé, les yeux baignés d’une émotion que je mis un moment à reconnaître. La haine. Une haine pure, dix fois plus forte que celle que j’y avais lue ce matin au poste de police. Était-il furieux parce que je lui avais cassé le poignet ? Cette idée me stupéfia. Bien entendu, la plupart des gens seraient contrariés par ce genre de choses, mais les cabots en faisaient rarement tout un plat, surtout si c’était moi qui causais les dégâts. En fait, ils en riaient généralement, comme si, non sans perversité, ils étaient ravis que j’en aie eu le cran. Des années auparavant, j’avais arraché avec les dents une des oreilles de Daniel. Il ne m’en gardait pas rancune. Il était même, d’une certaine façon, fier de cette oreille manquante, et racontait à tout cabot qui l’interrogeait les circonstances exactes de cette perte, comme pour prouver que nous entretenions une relation personnelle et intime. Aucune preuve d’amour ne vaut une mutilation permanente.

— C’est votre poignet ? demandai-je. C’est vous qui vouliez démontrer que vous pouviez me poignarder. Je prouvais seulement que j’étais capable de me défendre.

— N’importe quoi. Vous trouviez ça drôle d’humilier le petit nouveau. Une fois rentrés, devinez ce qu’a fait Marsten ? Il a tout raconté à Daniel et à Olson. Ils ont bien rigolé. (Il arma son pistolet.) Je veux des excuses.

J’y réfléchis. Les excuses, ça ne mangeait pas de pain. Bien sûr, je ne regrettais pas mes actes, mais il n’était pas obligé de le savoir. Pourtant, les mots me restèrent en travers de la gorge. Pourquoi m’excuser ? Parce qu’il te menace d’un flingue, andouille. Mais si j’étais certaine qu’il ne s’en servirait pas… Aucune importance. Aggraver la situation ne servirait à rien.

— Je suis désolée, répondis-je. Je ne voulais pas vous embarrasser.

— À genoux.

— Quoi ?

— Faites-moi vos excuses à genoux.

— Allez vous f…

Le Blanc me fourra le pistolet dans la bouche. Je serrai les dents malgré moi. Des élancements de douleur me parcoururent la mâchoire quand mes dents heurtèrent le métal. Je tentai de me dégager, mais il m’avait plaquée contre le mur. Il enfonça le flingue jusqu’à me donner un haut-le-cœur.

Le métal avait un goût infect, puissant. Je tentai d’en éloigner la langue, mais le canon était enfoncé trop loin. Mon cœur s’emballait mais je ne paniquais pas. Quoi qu’il ait bien pu dire, LeBlanc ne me tuerait pas. Il pensait que les menaces de mort suffiraient à me faire obéir à toutes ses exigences. Il comprendrait vite son erreur. Dès que je trouverais comment retirer ce flingue de ma bouche. Alors même que cette pensée me traversait, je compris que la réponse était simple. Ça ne me plaisait guère, mais c’était la solution la plus facile.

Je levai une jambe et esquissai un geste afin de montrer que j’étais prête à m’agenouiller. Les lèvres de LeBlanc se tordirent en un hideux sourire et il retira l’arme de ma bouche.

— Brave fille, dit LeBlanc. Loup-garou ou pas, je vois que vous restez une femme. Le moment venu, vous savez où est votre place.

Je serrai les dents, gardai les yeux baissés, et il parut en déduire qu’il m’avait suffisamment intimidée.

— Alors ? dit-il.

Je penchai la tête, laissant mes cheveux retomber en rideau autour de mon visage. Puis je commençai à renifler.

LeBlanc éclata de rire.

— On fait moins la maligne, hein ?

Une nuance triomphale imprégnait sa voix. Je reniflai encore et levai une main pour m’essuyer les yeux. À travers les cheveux qui me bouchaient la vue, je n’apercevais que la moitié inférieure de LeBlanc. C’était suffisant. Après m’avoir regardée pleurer quelques secondes, il baissa le bras et laissa son arme retomber le long de son corps. Je levai les deux mains vers mon visage pour le couvrir. Puis les baissai de nouveau et entourai de la gauche mon poing droit, que je lui balançai dans l’entrejambe. Lorsqu’il recula en titubant, je bondis, le renversai et me mis à courir. J’avais parcouru la moitié de l’allée quand j’entendis le premier coup de feu. Je me jetai instinctivement à terre. Quelque chose me brûla l’épaule gauche. Je heurtai le trottoir en roulant maladroitement sur moi-même, parvins à me redresser, et continuai. Deux coups de feu se succédèrent rapidement, mais je tournais déjà au coin.

Tandis que je courais, du sang me coulait sur l’épaule, mais la douleur était minime, il ne devait s’agir que d’une vilaine éraflure. L’épaule gauche, me dis-je. Une quinzaine de centimètres au-dessus de mon cœur. Il visait le cœur. Je chassai cette idée ainsi qu’une panique naissante. J’entendais LeBlanc courir derrière moi. Je pris le premier tournant, puis le suivant et encore le suivant, courant le moins longtemps possible en ligne droite afin d’éviter un nouveau coup de feu. Ça fonctionna cinq minutes environ, puis je me retrouvai dans un long couloir, qui ne possédait qu’une unique issue à son extrémité. Je me penchai et accélérai comme une dingue. Ça ne suffisait pas. LeBlanc tourna au coin avant que j’atteigne le bout du couloir. Nouveau coup de feu. Nouvelle plongée. Cette fois, soit le tir n’était pas précis, soit je bougeais plus vite. La balle s’enfonça dans une benne. Je pivotai à gauche et fonçai tête baissée, droit devant moi. Il y avait une voiture juste en face de moi, et une autre à côté, puis encore une autre et une autre. Un parking. Une étincelle de joie s’éveilla en moi. Un endroit public. J’étais en sécurité.

Je me ruai jusqu’au coin pour me retrouver hors de portée de tir. Tout en courant, je m’efforçai de trouver la plus grosse concentration d’activité humaine. C’était la clé. M’approcher suffisamment de la foule pour que LeBlanc soit obligé de cacher son arme. S’il n’en faisait rien, j’attirerais l’attention en hurlant – stratagème féminin d’une efficacité presque aussi universelle que les larmes. Lorsque j’avais jeté un premier coup d’œil autour de moi, je n’avais vu personne, mais c’était difficile de regarder attentivement tout en courant comme une dératée. Je me dirigeai vers une rangée de voitures et ralentis à l’abri d’un monospace. Je regardai autour de moi. Il n’y avait personne du côté est du parking. Je jetai un coup d’œil par la vitre du côté passager pour inspecter le côté ouest. Personne en vue. Absolument personne. Je me trouvais soit dans un parking réservé au personnel, soit dans un parc de stationnement avec forfait à la semaine.

Le vent charriait l’odeur de LeBlanc.

Je me laissai tomber sur les mains et les genoux. Inspirant profondément, je maîtrisai ma panique naissante et baissai la tête pour observer le parking depuis le niveau du sol. À quinze mètres environ sur ma droite, une paire de baskets. C’était lui. Je roulai sous le monospace et tordis le cou pour mieux regarder. Les rangées de pneus semblaient s’étendre à l’infini dans toutes les directions. Au bout de quelques instants, je décidai que la ligne de pneus sur ma droite paraissait la plus courte. Rampant à plat ventre, je me dirigeai vers l’avant du monospace, sortis la tête et regardai à gauche. Au-delà du parking, je n’y voyais rien. Mais j’aperçus une voiture qui passait au bout de la rangée. Puis une autre. Une sorte de route. Peut-être simplement une voie de service, mais, là où il y avait des voitures en mouvement, il devait y avoir des gens. Je sortis de sous le monospace et m’avançai, toujours pliée en deux, derrière les voitures.

— Allez, chantonna LeBlanc, sortez de votre cachette.

Puis, après une brève pause :

— Je n’aime pas jouer, Elena. Vous m’obligez à vous chercher et vous allez le regretter. Je peux vous faire passer le goût du jeu. Vous avez vu mon album. Vous savez de quoi je suis capable.

Je longeai l’arrière d’une berline et jetai un coup d’œil de l’autre côté pour m’assurer que la voie était libre avant de traverser à toute allure une place de parking vide. J’aperçus un mouvement et reculai brusquement la tête. Regardant sous la voiture, j’aperçus les chaussures de LeBlanc. Je me figeai et vérifiai le sens du vent. Sud-est. J’étais dans le vent. Je cessai de respirer mais compris que faire ou non du bruit n’y changerait rien. Il sentirait mon odeur. Forcément. Les baskets passèrent de l’autre côté de la berline et continuèrent à avancer. LeBlanc ne marqua même pas de pause. Je fermai les yeux et expirai lentement. Il ne se servait pas de son nez. Une inquiétude en moins. J’attendis que ses chaussures disparaissent, puis m’avançai dans l’étroit passage séparant les deux rangées de voitures garées. Chaque fois que j’atteignais un espace vide, je vérifiais avant de m’y engager. À plus d’une reprise, je dus renoncer à me faufiler entre deux voitures, car un chauffeur s’était arrêté trop près de celle d’en face. C’était plus délicat à négocier que la traversée des espaces vides. Je ne pouvais passer que par-dessus ou par-dessous. La première fois, je choisis l’option numéro un, ce qui fit tanguer la voiture. J’attendis quelques minutes, essoufflée, le temps de m’assurer que LeBlanc ne m’avait pas remarquée. Après quoi, lorsque les voitures étaient contiguës, je me glissai au-dessous. Méthode plus lente mais moins risquée.

J’avais passé quinze voitures et il m’en restait une dizaine quand j’entendis des pas sur ma gauche. Je me baissai vivement, m’immobilisai et tendis l’oreille. Je savais que LeBlanc était sur ma gauche, mais la dernière fois que j’avais vérifié, il était derrière moi. Ces pas venaient de la gauche, mais de devant moi. Et le bruit ne ressemblait pas à celui d’une paire de baskets. C’étaient des chaussures à semelle dure qui claquaient vivement sur le trottoir et se dirigeaient presque droit vers moi. Je tombai à plat ventre et regardai par-dessous la rangée de voitures. Sur ma gauche immédiate, des chaussures marron longeaient la rangée. Une femme qui regagnait sa voiture à pas pressés. Je pensai me lever, agiter les bras, attirer son attention. Un témoin suffirait-il à empêcher LeBlanc de tirer ?

— Aha, chantonna-t-il.

Ma tête se releva brusquement et heurta le dessous de la voiture avec un bruit sonore. LeBlanc jura et se mit à courir. Je regardai frénétiquement autour de moi, cherchant ses pieds afin de décider dans quelle direction m’échapper. La femme. Je devais saisir cette chance et foncer vers elle. Mais je n’entendais plus ses pas. Était-elle déjà dans sa voiture ?

— Merde ! s’écria LeBlanc. Putain, mais j’y crois pas. Elena !

Je m’immobilisai. Pourquoi m’appelait-il ? Il savait où j’étais, non ? Il avait bien dû entendre ma tête heurter le dessous de la voiture. Le choc avait résonné dans tout le parking. LeBlanc jurait toujours. Je suivis le son de sa voix et aperçus ses baskets à six mètres environ. Et, tout près de ses chaussures, le corps d’une femme, étendu à terre, dont les yeux ouverts me fixaient sous un cratère sanglant lui trouant le front. Quand LeBlanc avait crié, ce n’était pas parce qu’il m’avait vue. Le bruit que j’avais entendu n’était pas celui de ma tête heurtant une voiture. Il avait aperçu un mouvement, celui d’une femme qui marchait vite, avait entrevu des cheveux clairs et tiré. Regardant fixement cette femme morte, je me mis à trembler. Je me répétais que ma réaction horrifiée était pour elle, une innocente abattue dans un parking. Mais je mentais. Si ma gorge se serrait, si mon cœur cognait à tout rompre, ce n’était pas pour elle. C’était pour moi. Je regardai son corps, aux yeux aveugles braqués sur l’infini, et je me vis étendue à sa place. Ça devait être moi. Tuée en une seconde. Une brève seconde. Vivante et en mouvement. Puis morte. Terminé. La fin de tout. Aurais-je entendu le coup de feu ? L’aurais-je ressenti ? J’aurais pu mourir aujourd’hui, dans ce parking. Je le pouvais toujours. Je m’étais peut-être réveillée pour la dernière fois ce matin. J’avais peut-être déjeuné pour la dernière fois ce midi. Une demi-heure plus tôt, à l’aéroport, j’avais peut-être vu pour la dernière fois Antonio, Nick, Jeremy… et Clay. Mes tremblements s’amplifièrent. Je pouvais mourir. Réellement. Malgré toutes les batailles que j’avais livrées, je n’avais jamais réellement pensé à ça. À tout ce que ça impliquait. La fin pouvait survenir en une seconde d’une incroyable brièveté. À présent que j’y réfléchissais, j’avais peur.

J’éprouvai des élancements de douleur dans mes poings crispés. Quand je les desserrai, la douleur s’atténua et se changea en étirement doublé d’une palpitation, comme si quelque chose remuait sous la peau. Je l’ignorai. J’avais plus important en tête. Mais la sensation ne s’effaça pas. Elle empira au contraire. Je baissai les yeux et vis mes doigts se rétracter dans mes mains, des poils pousser sur le dos. Je n’avais rien fait pour précipiter une Mutation et n’y avais même pas pensé. Je secouai vivement les mains en les serrant, souhaitant de toutes mes forces que la transformation s’arrête. Lorsque je remuai les doigts, de nouveaux élancements me parcoururent les bras. Puis mes pieds se mirent à picoter. Je fermai les yeux et ordonnai à mon corps de cesser. Mon dos se cambra. Ma chemise commença à se déchirer. Non ! s’écriait mon cerveau. Pas maintenant ! Arrête ! En vain. Mes jambes agitées de spasmes cherchaient à s’extirper de sous mon corps, mais il n’y avait pas la place. J’étais planquée sous une Coccinelle neuve, avec à peine quelques centimètres d’espace au-dessus de moi. Je ne pouvais pas me lever à quatre pattes. Ni bouger bras et jambes pour les remettre en place. Je fermai très fort les yeux et me concentrai. Rien ne se produisit. Les premières vaguelettes de panique déferlèrent. La Mutation accéléra alors et mes habits se déchirèrent tandis que mon corps semblait décidé à se soumettre à d’impossibles contorsions. C’était la peur qui précipitait les changements. La peur de me retrouver coincée dans ce parking avec un tueur avait déclenché la transformation, et celle de me retrouver coincée sous la voiture l’aggravait à présent. Je savais ce que je devais faire. Je devais sortir. Une nouvelle étincelle de peur me fit brusquement redresser le torse, si bien que mon dos heurta le dessous de la voiture. Cette fois, je sus que le bruit que j’entendais était bien réel. J’entendis vaguement les chaussures de LeBlanc crisser sur le trottoir. Je l’entendis dire quelque chose. Je l’entendis rire…

Je bondis de sous la Coccinelle. Mes ongles raclèrent le trottoir. Alors que j’étais à moitié sortie, mes jambes s’ankylosèrent et je tombai par terre face la première. Tous les muscles de mes bras et de mes jambes semblèrent simultanément agités de spasmes. Un hurlement de douleur jaillit de ma gorge. Je crispai la mâchoire. Mes yeux s’exorbitèrent de douleur. Il était trop tard pour inverser la Mutation. J’avais dépassé le milieu du processus ; revenir en arrière prendrait plus longtemps qu’aller jusqu’au bout. J’y concentrai toute mon énergie pour en finir, le nourrissant de ma peur. La phase finale arriva enfin, accompagnée d’une vague de douleur si fulgurante que je m’évanouis. Je revins à moi dès que mon museau heurta le trottoir, puis restai étendue sur le ventre, haletante, aspirant l’air à grandes goulées. Je n’avais aucune envie de bouger. Je percevais des pas venant vers moi. Il m’avait entendue. Il savait à peu près où je me trouvais et se rapprochait, réduisant ses recherches à un rayon plus étroit. Dans un premier temps, j’étais trop épuisée pour m’en soucier. Puis je tournai la tête et vis la femme morte. Je me redressai et me mis à courir.

J’avais renoncé à l’idée de fuir rapidement et furtivement, chassée par le besoin de détaler à toute allure. Je m’arrachai de la masse des voitures et me mis à courir comme une dératée. Je ne tendis pas l’oreille pour écouter s’il me suivait. Je ne pouvais pas gaspiller cette énergie. Je concentrai toute celle que je possédais dans la course. Un cri retentit derrière moi. Puis un coup de feu. Il passa en sifflant au-dessus de ma tête. Je ne ralentis pas, ni ne changeai de cap. Je chassai toute autre considération et continuai à foncer. Puis j’atteignis enfin le bout de la rangée de voitures. Je me trouvais sur une route. Un klaxon retentit. Le passage d’un camion souleva une rafale qui m’ébouriffa la fourrure. Je ne ralentis pas pour autant. De l’autre côté de la route se trouvaient deux bâtiments. Je me précipitai par là sans comprendre où je me dirigeais, sachant seulement que je devais m’enfuir.

Alors que j’émergeais d’entre les bâtiments, j’entendis s’élever une voix. On m’appelait par mon nom. Le bruit venait de derrière moi. Je m’abaissai et accélérai. Un mur de brique apparut soudain sur mon chemin. Je voulus m’arrêter, mais il était trop tard. Je dérapai et percutai le mur avec un bruit sourd. Derrière moi, LeBlanc courait toujours en m’appelant. Je me relevai et me tortillai pour voir derrière moi la silhouette de mon poursuivant. Je n’avais plus le temps de m’échapper. Courant toujours, je m’élançai vers lui. Il leva le bras pour protéger sa gorge. Je le heurtai en pleine poitrine et on bascula en arrière. Je retroussai les babines. Alors que je m’apprêtais à mordre, le brouillard rouge de la panique qui m’aveuglait se dissipa et je vis qui se trouvait étendu sous moi. Ce n’était pas LeBlanc. Mais Clay.

Je reculai la tête juste à temps. La vitesse acquise lors de ce brusque changement de cap me fit basculer sur le flanc. Tandis que j’essayais de me relever, Clay m’attrapa et me força à demeurer immobile. Il murmura quelque chose que je ne distinguai pas. Ne lisant dans mes yeux aucune compréhension, il attendit une seconde, puis reprit la parole en articulant lentement.

— Il est parti, dit-il. Ne t’inquiète pas. Il est parti.

J’hésitai et jetai un coup d’œil derrière moi, entre les deux bâtiments, persuadée de voir apparaître LeBlanc à tout moment, l’arme en main. Clay secoua la tête.

— Il est parti, chérie. Quand tu as traversé la route, il a laissé tomber. Trop exposé.

J’attendis toujours, tremblante. Clay enfouit les mains dans ma fourrure et voulut m’attirer contre lui, mais je résistai. Nous devions être prêts à courir. Il s’apprêtait à dire quelque chose quand des pas retentirent non loin de nous. Je me relevai d’un bond, mais Clay me retint. Jeremy, Antonio et Nick apparurent au coin du bâtiment. Je restai plantée là un moment, jambes tremblantes, reniflant l’air pour m’assurer que mes yeux ne me trahissaient pas. Oui, ils étaient là. Ils étaient tous là. J’étais en sécurité. Je m’arrêtai une seconde, puis m’effondrai à terre.

Morsure: Femmes De L'Autremonde, T1
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